Contre big-brother et les trusts: autonomie du cyberespace ! Actuellement, sous des pressions économiques, politiques et sociales liées à l'évolution du capitalisme moderne, s'accentue de plus en plus l'utilisation de la technologie comme arme de contrôle social. C'est un lieu commun que de dire que notre société développe de plus en plus d'armes technologiques pour lutter contre les "délinquantEs", les "terroristes"[1] et touTEs celleux qu'elle entend exclure ou contrôler, pour mieux les "réinsérer". Entre les caméras de surveillance, les dispositifs anti-vols en tout genre, les outils de contrôle en entreprise (badgeage notamment) et les techniques plus sournoises type CB, Monéo, cartes de fidélité et autres gadgets genre codes barres high-tech, c'est un véritable arsenal d'ACMs (Arme de Contrôle Massif) qui est désormais à la disposition des gestionnaires sécuritaires de tous poils. A cela on peut ajouter pour noircir le tableau, les divers fichiers de plus en plus étoffés et interconnectés (fichiers de la police, des RG, de la sécurité sociale, de diverses entreprises, de la SNCF, des compagnies de transports urbains, des hôpitaux, des collectivités locales, j'en passe et des meilleures ...) qui nous rendent de plus en plus aiséEs à connaître intimement. Sans que cela atteigne encore les sommets des meilleurs livres de SF, il devient de plus en plus facile pour les gentilles autorités compétentes et démocratiques, pour les gentilles entreprises citoyennes et éthiques de connaître nos caractéristiques physiques, nos goûts, nos achats, nos déplacement, bref tout ce qu'il est nécessaire de connaître sur unE individuE pour pouvoir le/la contrôler efficacement. Parallèlement se développe tout un arsenal juridique de protection de "l'information", qui tend à faire de l'information un bien comme un autre, afin de permettre au capitalisme de s'ébattre joyeusement sur de nouveaux marchés (en envisageant les choses de cette manière, l'EUCD et le DMCA ne sont que l'équivalent "web" de l'AGCS du monde réel). Il est nécessaire de se donner les outils juridiques pour faire peur au/à la contrevenantE numérique afin de pouvoir pratiquer sainement le commerce digital. La législation actuelle sur la propriété intellectuelle doit être renforcée pour permettre à des circuits "traditionnels" (type magasins, "bouquets de services" et autres abonnements) de distribution d'information de rentrer en jeu. Du coup, c'est tout Internet qui finit par devenir une vaste vitrine marchande et aseptisée, remplie de publicité et de diverses instances qui entendent le réguler, l'assainir, voire même le censurer si nécessaire. Internet est un vecteur très intéressant pour le commerce et très novateur dans le sens où il permet une interaction plus poussée entre le/la vendeureuse et le/la clientE. Il permet d'établir une relation évoluant très rapidement, où le moindre acte du client est traçable très facilement, et où on peut donc utiliser des techniques de marketing agressif très facilement. De plus, une multitude de personnes peuvent être touchéEs à moindre coût, instantanément et sans avoir besoin d'utiliser une grosse masse salariale. L'automatisation est bien évidemment totale dans cet environnement "cyber", et donc le profit peut être maximal en évitant tout un tas de désagrements liés à la main-d'oeuvre humaine (conflits sociaux notamment [2]) Dans cette perspective, la bataille se livrant actuellement autour du contrôle d'Internet est cruciale dans le sens ou les entreprises peuvent (avec le web) trouver le vecteur marchand ultime. Il me semble donc qu'à travers ces deux phénomènes (utilisation de la technologie comme moyen de contrôle social et développement du média Internet comme un média de commerce) une phase décisive dans l'évolution moderne de l'économie est en train de se franchir. Peut-être atteignons nous la civilisation commerciale ultime ou tout peut s'acheter et se recevoir très vite, où les actes de chacunE sont maitrisables avec des dispositifs sophistiqués, et où donc le besoin d'une police violente barbare est remplacé par un contrôle constant et fin des actes de chacunE[3]. Cela nous rapproche beaucoup des rêves/cauchemars des écrivainEs de science-fiction avec ces sociétés parfaitement policées où le contrôle social est devenu tellement intégré qu'il en est rendu invisible. Mais il me semble qui nous avons encore un pouvoir là-dessus. En tant que domaine balbutiant, cette haute technologie est encore imparfaite et même déficiente. Les failles, les zones d'ombres, les aléas sont encore trop nombreux. La machine n'est pas huilée. Preuve en est toute la focalisation actuelle sur la sécurité à tout prix. Sécurité des connexions, sécurité des machines, sécurité des données, sécurité des serveurs, tous les domaines y passent et (sous la pression des expertEs) les entreprises commencent à intégrer de plus en plus cette question pendant que les professionnels du secteur mitonnent leurs solutions. Cependant, le tableau en terme de sécurité est toujours catastrophique pour les gestionnaires. C'est là que réside peut-être l'espoir. Les mouvement de contre-culture informatique (type mouvement du logiciel libre) sont encore vivaces. Grâce à ces mouvements, nous pouvons potentiellement réaliser des choses: introduire des grains de sable dans la machine et construire une autonomie technologique. Introduire des grains de sable dans la machine, cela veut dire empêcher la sécurisation du web, empêcher que les cyber-marchands ne s'y sentent à l'aise, c'est les empêcher de contrôler l'information et de déployer leurs données en toute sécurité. C'est les empêcher de considérer Internet comme un média viable. On entend de plus en plus de grands discours sur la nécessaire "maturation" d'Internet. Il serait peut-être urgent de laisser Internet être un enfant, de l'empêcher de grandir, de devenir adulte. Je pense que nous avons les outils technologiques nécessaires pour faire d'Internet une zone perpétuelle de non-droit et d'insécurité[4]. Construire une autonomie technologique, cela veut dire développer nos connaissances et les partager, cela implique de récupérer les immenses ressources informatiques gaspillées pour que l'utilisation du potentiel des ordinateurs en termes de communications et de réalisation n'implique plus une dépendance envers les marchandEs. Cela veut dire assurer, construire et maintenir nos propres voies d'accès à Internet pour ne plus dépendre des fournisseurs d'accès, cela veut dire participer à la dynamique du logiciel libre pour construire nous-mêmes les outils nécessaires au fonctionnement de nos machines. Cela veut dire fournir nos propres contenus, communiser nos ressources, travailler à la production de notre énergie, et milles autres choses encore. Cela veut tout simplement dire pouvoir utiliser la technologie sans s'y sentir en territoire ennemi. Je ne sais pas vraiment si la tâche est réalisable, mais je crois que nous n'avons pas beaucoup d'alternatives: soit arriver à construire cette autonomie, soit il va falloir accepter de voir la technologie rejoindre les rangs des outils d'oppression. [1]: récemment, on a eu l'occasion de voir que nos gentilLEs dirigeantEs étendaient assez largement la notion de "terroriste" à toutE activiste politique, à toute personne anormale, et à toute personne contrevenant au nouvelles lois numériques type DMCA, EUCD et autres. le qualificatif de "terroriste" est donc devenu une arme permettant de tout se permettre face à une personne gênante, avec un rapport très lointain à la définition réelle du mot [2]: de toute façon, le/la travailleureuse moderne est le plus souvent isoléE dans son travail, ce qui limite fortement les possibilités de lutte collective [3]: on peut peut-être s'étonner du parallèle assez direct que j'établis entre l'évolution des techniques marchandes et l'évolution des techniques répressives, mais il me semble assez évident que ces deux domaines techniques se nourrissent l'un l'autre, tant leurs exigences sont complémentaires et/ou se chevauchent même parfois [4]: on peut aussi s'étonner de me voir considérer comme une bonne chose "l'insécurité" sur le web. cela tient à une raison simple, je pense que souhaiter la sécurité sur le web est incompatible avec la volonté de ne pas en faire un outil de domination. le jour où le web sera totalement sécurisé, nous pouvons abandonner tout projet concernant la technologie, et rentrer de plein pied dans une société bigbrotherisée. le moyen le plus simple de s'en rendre compte est de regarder les débats actuels sur TCPA dans le monde de la sécurité. plein d'expertEs en sécurité trouvent TCPA plutôt utile, et ils ont raison. du point de vue de la sécurité, TCPA apporte énormément en intégrant des fonctions de crypto à la machine et en permettant d'avoir des zones de stockage de confiance dans la machine (la norme TCPA, librement consultable, est très claire sur le sujet). seulement, cet apport est incompatible avec le respect de certaines libertés (l'utilisation possible de TCPA pour faciliter le contrôle de l'information est évidente). le discours simple consistant à dire que TCPA n'est qu'un outil comme un autre, même si on peut l'utiliser à mauvais escient, peut conduire à accepter toutes ces violations au nom d'une sorte de "neutralité" technologique masquant les risques pour la vié privée. c'est pourquoi je pense qu'il faut assumer et expliciter cette volonté de ne pas tout sécuriser, de ne pas faire du web un coffre-fort. -- djrom@altern.org, un soir d'été 2003 (avec l'aide de quelques amiEs pour les indispensables relectures, corrections et ajouts) faîtes ce que vous voulez de ce texte, pillez-le, diffusez-le, oubliez-le ... "the supermarket of ideas, like any other supermarket, is fit only for looting"